Infranchissables. Telles étaient les murailles de Thorens, citadelle de l’Ordre Teutonique, commanderie générale de l’une des plus puissantes parties des Saintes Armées. Les hauts murs de pierre grise étaient gardés par des soldats drapés de blancs et accompagnés de novices portant l’arc ou l’arbalète. Il n’y avait qu’une seule façon d’entrer dans l’antre : le poste de garde, occupé quasiment tout le jour par l’un des plus vieux et des plus effrayants Teutoniques : Otto. Le gros homme avait accueillit des générations de postulants, de visiteurs, d’amis…tous les membres de l’Ordre, ou presque, étaient passé par là et avaient du se soumettre à son interrogatoire rituel. Personne n’y échappait.
Pourtant, il existait à Thorens quelqu’un qui peut être considéré comme l’antithèse du gardien : Adaïs, fille de l’ancien Hochmeister MrGroar. Elle était aussi petite et fluette que l’homme était gros et fort. Autant Otto se pliait aux règlements édictés par les responsables de l’Ordre Teutonique, autant la fillette n’en avait cure et faisait ce qu’il lui plaisait, même si parfois elle se faisait taper sur les doigts parce qu’elle avait dépassé les bornes, ce qui n’avait pas manqué d’arriver plusieurs fois. Notre ami du poste de garde avait d’ailleurs plusieurs fois fait les frais de ses plaisanteries malsaines.
En ce moment même, Adaïs se trouvait debout sur la muraille dont j’évoquais précédemment l’invulnérabilité jamais démentie jusqu’à présent, au milieu des gardes qui, imperturbables, surveillaient l’horizon. La petite, quant à elle, regardait de même au loin, mais s’extasiait plutôt devant la beauté du paysage qui s’offrait à ses yeux. Au pied de la butte, le village de Thorens s’animait alors que les villageois revenaient du travail aux champs sous le soleil couchant. Plus loin encore, les montagnes qui entouraient la vallée étaient encore couvertes d’un peu de neige blanche. L’adolescente s’émerveillait toujours de ce qu’elle pouvait voir depuis les hautes murailles, bien qu’elle étaient à Thorens depuis plus d’un an.
Il y eut une bourrasque de vent frais, qui rappela à tout le monde que le mois d’avril se terminait à peine. Si Adaïs frissonna, les gardes, quant à eux, restèrent imperturbables, au cas où un membre du Kreis (ou Otto) les surveillaient. Peut être était-ce aussi simplement pour énerver la fille de MrGroar, qui les avait déjà un peu trop souvent poussé à bout. Il faut avouer que l’adolescente était effrontée comme peu de petites filles l’étaient, même s’il faut sans doute mettre cela sur le compte de l’année qu’elle avait passé toute seule sur les routes du Royaume de France à la recherche de son père. Cela dit, cela ne l’excusait pas aux yeux des Teutoniques qui n’avaient pour la plupart pas connaissance de son passé. Après tout, en quoi est-ce que ça les importait ?
Le regard d’Adaïs tomba sur l’entrée du château ou un homme discutait visiblement avec Otto. Il y avait beaucoup d’arrivées, ces temps-ci. Parfois même plusieurs par jour, ce qui prouvait, disait-on dans les couloirs, que la cause aristotélicienne gagnait du terrain. La fillette avait entendu ça par hasard, lors d’une discussion entre deux Teutoniques. Elle n’avait pas exactement compris ce que ça voulait dire, mais se doutait bien que ça ne dérangeait en aucun cas les habitants de la forteresse. La jeune fille s’appuya sur l’un des créneaux et continua à regarder le dialogue qui devait se dérouler plus bas. Même si elle n’entendait pas, elle devinait sans peine ce qui devait se dire.